[...] Elle lui fit un manteau gris comme une taupe ; et de fins sourcils qui montaient jusqu'aux tempes. Elle rabattait parfois d'un mouvement mécanique quelques mèches de cheveux décoiffées par le vent, elle s'arrêtait ensuite de dessiner pour simplement regarder son oeuvre puis s'attelait de nouveau à la magnifier encore.
Je n'osais pas vraiment la déranger en fait. Les voitures défilaient d'une allure constante mais sans jamais qu'aucune ne lui prête attention, sans la curiosité d'une bande d'arrêt d'urgence, sans ce goût pour l'atypique qui ne m'avait que trop perdu. Je feignai un traitre toussotement, m'approchant lentement de notre voiture. D'un geste vif, elle mit alors son crayon entre ses dents, sortit de sa poche un élastique puis entreprit de s'attacher les cheveux. Je ne pus réprimer un sourire gêné, voyant ces frêles petites mains, ses petites marionnettes, s'agiter sur sa nuque, farfouillant chaque mèche. Mâchouillant son outil, elle me rendit le même, un sourire maladroit, un beau sourire désolé de se suffire à lui-même. Elle se pencha une dernière fois sur le capot, reprit son crayon, étoffa un sourcil et s'apprêta à plier sa feuille pour la cacher à nouveau dans sa pochette qui était tombée dans l'herbe. Je ramassai rapidement cette dernière pour la lui rendre, elle me remercia poliment.
- On doit y aller ? me demanda-t-elle soudain, glissant la pochette dans son sac.
Il y avait le ciel tout bleu, la route toute bondée, et il y avait elle, toute petite, qui essayait de s'asseoir sur le capot bronzé de ma voiture tout en me fixant de son regard pétillant. Cette escale impromptue semblait l'avoir enjouée au moins autant que moi qui d'une moue hésitante ne put vraiment lui répondre. Elle avait pris du plaisir à dessiner, j'en avais simplement pris à la contempler concentrée dans son travail. Le petit plaisir furtif s'éternisa un peu plus. Elle prit une cigarette, nous attendîmes quelques minutes, accordant de temps en temps quelques regards à la circulation qui ne faiblissait jamais. Notre temps à nous s'était pourtant arrêté pour son dessin, pour mon désir, et la fumée qu'elle rejettait dans l'air ne lui enlevait pas pour autant son parfum si prononcé, nuancé par l'odeur de blé de l'immense champ derrière elle.
S'il fallait y aller, ma belle, le devions-nous ? Qui donnait les ordres ? T'aurais-je ordonné de continuer ton dessin pendant que je m'arrêtais pisser au bord de la route ? Je lui rendais ses regards insistants, hésitants. Non, je ne savais pas où aller. Non, je ne savais pas pourquoi je m'étais arrêté au bord de cette route. Je n'avais pas eu besoin de plein air ou d'étendues de céréales pour me sentir bien. J'avais juste eu besoin en fait de te voir prendre du plaisir devant moi, pour la première fois sans gêne, sans que tu ne t'importes de mon air espion désintéressé. J'avais juste eu besoin de ton dessin, qui n'était pourtant que toi parée pour l'hiver. [...]
Pour se faire plaisir :
Re: Waw..
Ce sont mieux que des images, ce sont des dessins :)
J'ai un peu une conception cinématographique de la littérature, je pense que cela aide à garder une certaine crédibilité dans l'écriture - au sens de réalisme, je l'entends.
C'est comme lire à l'envers, probablement, quoiqu'il en soit j'aime cette phrase, elle est très jolie.
Merci pour ton commentaire
Re: Re: Waw..
plein d'images, de dessins en effet...très joli twann..
on aimerait être la feuille de papier ou le crayon et se laissait croquer...
Bisous
to be continued...
J'adore, vraiment j'adore. Très joli texte, tellement bien écrit...
Je suis en train de dévorer tous tes articles et j'ai du mal à m'arrêter. ;)
seckel
Waw..
Continue ;)