Article du 19/03/2004
Sandra est banalement venue me chercher à la gare dans son banal long manteau noir qui lui élargit les miches et me rend affreusement vulgaire. J'avais appris qu'en haute-société, on ne parlait du temps que pour s'en plaindre ; ma jet-setteuse préférée n'a point dérogé en m'expliquant cas par cas la différente organisation de ses journées selon la météo. Les incessantes giboulées l'avaient conduite au caban qu'elle avait dû retirer cinq ou six fois pour cause de furtives et envahissantes bouffées de chaleur impromptues. Quant à sa coiffure, les coups de peigne ne se comptant apparemment plus, elle préféra la cacher sous une jolie casquette rouge, censée rattraper alors les aléas inévitables du brushing printanier.
Sous ces hautes sphères d'absolue branchitude, tandis qu'elle me raccompagnait chez moi, je dus me résigner à sa longue soutenance sur Jonatan Cerrada - une thèse, j'en convins de suite, fortement étayée par d'impitoyables arguments cravatesco-capillaires auxquels mon je-m'en-foutisme ne put longtemps demeurer indifférent. Je la regardais pendant qu'elle me parlait, lui soufflant, l'air de rien, ma fumée dans la figure, lorsqu'une épiphanie vint me frapper de plein fouet. Je souriais béatement à sa face autobronzée, soudain raisonné par l'illumination impie.
Sandra était une cruche, une cruche griffée, une cruche de luxe. Non pas une gaufre au sucre aux alvéoles un peu trop molles mais une véritable belle gaufre belge et sa garniture de circonstance - bien que je doutais sur le moment trouver autre chose dans sa tête qu'une énorme marmite de lait de chèvre tiédi.
Son poli "Pardon ?" asphyxié par son tout aussi poli sourire précéda le sempiternel "Non-rien-continue-je-pensais-à-que-Jonatan-l'est-belge" de rattrapage qui égaya de ses frasques syntaxiques le langage châtié du monologue. Elle enchaîna sur le chapître-clé du piercing à l'arcade.
Sandra. Une cousine de Marseille, de Six-Fours plus exactement. A mon vaseux "Un ou deux ça suffira", elle ne put encore aujourd'hui s'empêcher de s'esclaffer. Mademoiselle étudie le stylisme. Elle avait emmené sa clique à Paris pour fêter son emménagement imminent pour se prendre d'entrée la claque du logement étudiant et laisser s'évaporer ses rêves de colocation. La cour repartie, elle logea "deux-trois semaines"(mois) chez ma grand-mère pour enfin se trouver un petit appartement en banlieue nord, seule, en attendant de se trouver des Friends assez courageux pour partager, autrement que le loyer, plus d'une heure avec elle.
Sandra. Le machouillâge patent jusqu'à plus goût, le lent effeuillage de sa jupe pour pêcher le gadjo au filet résille.
Elle n'a échappé à aucun stéréotype. Elle a fait le casting du loft, de la star academy, d'opération séduction, de la nouvelle star. Mais Sandra ne sait pas chanter et ses seins sont plus petits que ceux de Loan(a). Alors affreusement déçue de ne pas être devenue célèbre, elle veut devenir styliste pour habiller ses idoles et avoir la mince impression d'être utile.
Sandra ne mord pas et elle est gentille. Je ne lui ai pas déversé mon fiel sur le fond de teint, je lui ai dit d'imposer ses idées si elle voulait réussir. Elle mit du labello pour me faire la bise, je fus flatté. Je ne la reverrai que dans quelques semaines. Je lui avais donné mon conseil de prophète omniscient, elle me rendit simplement le cd que je lui avais prêté mais elle y joint une écharpe tissée de sa main et de sa Singer, une belle écharpe bleue, sans que je ne lui demande quoique ce soit. Je l'aime bien ma cousine Sandra. En repartant vers le bus, elle retira sa casquette un moment. Elle s'est faite des mèches rouges, Sandra.
Pour se faire plaisir :
Re: je n'aime pas les coïncidences douteuses...
Il n'y a aucun rapport, et je viens de m'en rendre compte
je n'aime pas les coïncidences douteuses...